Deux femmes chorégraphes se partagent l’affiche de Garnier…
Agnès de Mille, new yorkaise puis londonienne, dispose d’un riche héritage du théâtre : son père est dramaturge et réalisateur et elle-même commence sa carrière dans le cinéma muet. Cette influence marquera l’ensemble de son oeuvre et en fait l’une des figures de proue des « Ballets Américains » des années 40… Comédies musicales, reprises chorégraphiées du répertoire classique du théâtre anglo saxon, Agnès de Mille a toujours exploré le rapport à la théâtralité dans la danse. Et dans Fall River Legend, c’est particulièrement vrai.
Le ballet, créée en 1948 s’inspire d’un fait divers tragique… Lizzie Borden est accusée du meurtre de son père et de sa belle-mère à Fall River, dans le Masachusetts. La pièce s’ouvre sur la mise à mort de cette demoiselle sans histoire et nous plonge très vite dans le passé de Lizzie. Agnès de Mille y imagine son enfance heureuse et sans histoires jusqu’à la mort de sa mère. Très vite, la jeune fille perd pied et sa folie naissante s’exprime dans ses convulsions de haine. La fin est inévitable, surtout avec une hâche à portée de main.
La pièce saisit par son réalisme. Le travail des personnages et l’interprétation des danseurs, en particulier Laëtitia Pujol, contribuent à la profondeur de la pièce. L’ambivalence de son personnage et cette alternance de fragilité et de violence meurtrière rend son personnage presque attachant, en tous cas sa prestation impressionnante.
Dans un registre similaire, Birgit Cullberg, chère maman du grand Mats Ek, nous raconte l’histoire de mademoiselle Julie, jeune aristocrate qui tombe dans les bras de son valet Jean et se suicide ensuite par repentir. Ce n’est pas très gai non plus ! L’héroïne (Aurélie Dupont) est d’emblée moins sympathique puisqu’elle terrorise sa cour, se fait obéir au doigt et à l’oeil et ne manifeste aucun respect pour ses domestiques… Elle a jeté son dévolu sur son domestique Jean (Nicolas Lerich) qu’elle arrache des bras de ses rivales (notamment Charlotte Ranson) alors qu’elle est elle-même fiancée. Mais cette jeune femme arrogante cherche simplement l’amour. Après s’être offerte à Jean elle se rend naturellement compte du manque de considération et de respect qu’il a pour elle… Déshonorée et honteuse, elle choisit de mettre fin à ses jours avec l’aide de ce dernier…
Ce qu’on retient de cette pièce hormis Aurélie et de Nicolas, à l’apogée de leur art, dans une danse d’une perfection et d’une sensibilité rares, c’est une évidemment l’esthétique de Cullberg. Mêlant vocabulaire classique et gestuelle moderne, Cullberg croque en quelques gestes les personnages principaux. Elle nous emmène avec dynamisme et simplicité d’un tableau à l’autre et nous fait traverser une multitude d’émotions… Un chef d’oeuvre tout simplement !
Ce spectacle fait partie des meilleurs de la saison, courrez-y !