L’équipe de Danse en Seine découvre une salle de spectacle décorée dans une ambiance cabaret : de petites tables rondes sont parsemées dans la salle, éclairées à la bougie, entourées de chaises. Plus loin, des gradins classiques. Cette atmosphère chaleureuse donne envie aux intervenantes de faire une entrée dansée…
Inspirée de la pièce Kontakthof les trois danseuses viennent se présenter devant les tables, elles s’arrêtent, s’exposent… Le public est curieux et souriant ! Puis les trois femmes vont s’asseoir et la conférence démarre… La parole se transmet de l’une à l’autre, elle est entrecoupée d’extraits vidéos, de démonstration, de citations de Pina et de son entourage.
Tout d’abord une biographie de l’artiste. Pina naît en 1940 et grandit dans un café-hôtel en Allemagne : « Pour une enfant un restaurant peut être un lieu merveilleux il y avait tant de gens, et tant de choses étranges s’y passaient. » elle dit encore « ces souvenirs d’enfance sont vagues, je les ai oublié, ils reviennent pourtant dans mon travail je passe ma vie à essayer de donner une forme à ces émotions enfouies, évanouies ». Elle étudie à la Folkswangschule : l’école du peuple, à Essen et s’imprègne de l’enseignement de Kurt Jooss : « L’œuvre d’art nait simultanément d’impulsion chorégraphique et dramatique. On ne voit plus si le développement de l’œuvre est déterminé par les lois formelles de la danse ou par les nécessités du mouvement qui se développe. » Elle poursuit son enseignement à NY à la Julliard School of Music auprès d’Antony Tudor, José Limon… En 1962 elle rentre en Allemagne et rejoint le Folkwang Ballett, la cie de Kurt Jooss, et c’est dans cette compagnie qu’elle fait ses premiers essais chorégraphiques : « J’ai commencé à chorégraphier parce que je voulais danser : je ne m’imaginais pas me contentant de regarder les autres ! » En 1973, elle est nommée à la tête du Ballet de Wuppertal, rebaptisé : Wuppertaler Tanztheater, puis Tanztheater Wuppertal.
La conférence se poursuit en détaillant différentes périodes chorégraphiques dans l’œuvre de la chorégraphe : Les opéras et tragédies dansées, comme par exemple : Le Sacre du printemps en 1975 sur la musique de Igor Stravinsky. Ces ballets sont déterminés par l’œuvre musicale. Dès 1977, Les Stück, qui signifie « morceaux » : Pina abandonne la composition traditionnelle, et compose désormais par assemblage, collage de séquences/morceaux. Elle obtient ces différentes séquences en questionnant ses danseurs sur des thèmes, des idées qui l’inspire. Elle s’intéresse à ces interprètes en tant qu’individu. Elle créé à partir de ce qu’ils sont, à partir de leur vécu, leur ressenti, leur point de vue sur la vie. Le langage apparait dans ces pièces.
La parole sur scène peut être :
– intime : c’est-à-dire sous forme d’aparté, confidence d’un ou plusieurs interprètes.
– un « brouhaha » : de la parole sans communication ; tous les danseurs parlent en même temps, sorte de chao verbal.
– référencée à la vie courante : via des slogans, des discours entendus, des clichés, des paroles usées…
A partir des années 80 : le thème du voyage et les co-productions à l’étranger. Sont abordés également l’utilisation d’éléments et matières naturelles sur le plateau, l’eau, la terre, un mur, un rocher, des fleurs etc envahissent la scène. « J’aime le réel. La vie n’est jamais comme un plateau de danse, lisse et rassurante. » comme elle explique, et Pina fait prendre conscience de la réalité à ces danseurs.
Plusieurs personnes ont expliqué son processus de création avec les danseurs par le mot IMPROVISATION, elle répond : « (…) lorsque vous posez certaines questions précises, vous obtenez des réponses. Ensuite vous y réfléchissez, vous essayer de les interpréter et de les matérialiser pour en faire des choses à montrer, à danser. Ce n’est pas de l’improvisation. Je pratique très peu cette forme libre. Mon travail est une recherche, et quand vous recherchez, vous n’improvisez pas. En général quatre-vingt-dix-neuf pourcent de la matière ainsi obtenue doit être abandonnée. »
Philippe Noisette, qui réalise l’entretien, lui demande alors : « Vous n’avez pas le sentiment, parfois, de pénétrer l’intimité de vos danseurs en procédant ainsi ? – Il y a certains danseurs qui aiment répondre de façon intime, d’autres s’échappent. Chacun fait ce qu’il veut. Il peut même ne pas répondre aux questions. C’est ouvert : celui qui veut apporter une part de lui-même au rôle peut le faire. (…) La seule chose que les danseurs ont en commun, c’est qu’ils aiment cette façon de travailler. Ce sont des chercheurs du mouvement, tout comme moi. »
Pina crée les conditions d’une véritable création d’interprétation, afin que chaque danseur « ne joue pas un rôle mais se joue lui-même ». Les fameuses questions adressées aux danseurs, donnent parfois des images métaphoriques. Pour Le Sacre du Printemps, « déboucher dans une clairière illuminée de soleil, un endroit si beau qu’il déclencherait alors un irrésistible besoin de courir » correspond aux courses.
« Je ne m’intéresse pas tant à la façon dont les gens bougent qu’à ce qui les remue profondément. »
Quand on interroge Pina sur le message de ces pièces elle répond : « Je ne crois pas que dans mes pièces, il y ait des moments où l’on puisse dire : « Elle a voulu dire ceci ou cela ». Je ne donne pas d’avis arrêté, je présente mes recherches et mes découvertes. » Dans certaines pièces le public avait la sensation qu’il n’y avait pas de danse. Un journaliste demande alors à la chorégraphe si la danse est revenue dans ses spectacles ? « Il y a toujours eu la danse (…) mais il y a tant de sortes de danse ! Il y a des riens qui sont parfois de formidables moments de danse. La danse a ses détails : certains ne les remarquent pas et en concluent qu’elle n’est plus là. »
A la fin de la conférence les trois intervenantes déambulent en musique à travers le public et reviennent sur scène accompagnées d’Anna Martin. Elle mentionne que la chorégraphe « voyait la beauté de chaque danseur en tant qu’individu». Lorsque Pina composait une pièce : elle essayait toutes les possibilités de collage, même celles supposées ne pas fonctionner. Travailler avec Pina Bausch, c’était beaucoup de temps de rien, des moments d’attente ; car elle est en train de chercher, car elle fait travailler d’autres danseurs, et à la fois énormément de travail : chaque mouvement était répété jusqu’à ce qu’il paraisse naturel au corps du danseur, jusqu’à ce qu’il soit parfaitement précis. Et c’est ce qui donne l’impression de facilité sur scène !
Les danseurs faisaient une confiance aveugle à la chorégraphe, en dansant dans la pièce ils ne pouvaient pas percevoir tous les niveaux de lectures existants. Anne explique que souvent le danseur n’était pas conscient de ce qu’il se passe pour le public. Tous les gestes de danse des spectacles ont une origine concrète, un sens, une signification.