Jeudi 17 avril, la compagnie Danse en Seine recevait son public en toute intimité au studio le Regard du Cygne. Le spectacle « Contents pour Rien », financé par la campagne de crowdfunding sur Ulule des semaines précédentes, rassemblait les dernières créations et quelques extraits des projets en cours de la compagnie.
Ainsi, la soirée s’est ouverte sur un extrait des Mots des Vivants, spectacle qui sera remonté et présenté début juillet, suivi de près par le trio désormais mondialement connu Work in progress, inspiré de « Rosas Danst Rosas » de Kersmaeker. En deuxième partie, les spectateurs ont pu découvrir deux personnages de L’or des talus , adaptation chorégraphiquede la nouvelle de Jean-Louis Carrasco Penafiel, . Et pour terminer la soirée, rien de mieux que deux pièces de la chorégraphe Bérangère Roussel, inscrites au répertoire de la compagnie : Animals et Echappées.
Pour immortaliser cette soirée, nous avons demandé à Jean-Louis Carrasco Penafiel de reprendre sa plume… Revivez la soirée au travers de son regard !
« Arrivé quelque part, dans le Paris qui ne se dévoile que si vous cherchez une adresse. Une petite cour allongée, de la végétation, du silence. Un charme dont la capitale seule a le secret. Des jeunes gens, des personnes plus en âge. On échange des mots, on se touche les antennes. Elles sont bonnes, ces antennes, les carapaces se dénouent et la douceur prend le pas.
On sent une fébrilité derrière les murs, là où les danseurs se préparent. On ne voit personne, mais on perçoit nettement que l’on court, que l’on se passe les mains sur les avant-bras, l’épaule aussi : il s’agit de tromper le trac en revenant à soi, au plus présent de soi. J’apprends qu’Orianne a proposé quelques exercices de Yoga, histoire justement de fermer la porte à tout ce qui ne serait pas ce soi-même à cet instant précis du Présent. En somme, c’est un cadeau qui se prépare, le plus beau, celui qu’on appelle justement un présent.
Nous entrons dans la salle, les murmures en occupent aussitôt l’espace. On est tous amis, lorsqu’on accepte un même toit. Des signes de main, des sourires : là aussi, de cet autre côté de la scène, on se prépare à revenir à l’essentiel, puisque le spectateur, s’il veut avoir vu, se doit d’être vraiment là, dans toute sa conscience.
Les lumières s’éteignent. Le voici ce silence du dedans que chacun cherchait depuis tout à l’heure. Nous ne sommes plus qu’un. A la pénombre des gradins, la nudité sombre des murs n’est pas une injure : aucune séparation entre le dehors de la scène et le dedans. Nous sommes embarqués. Le parquet de bois profond respire comme un miroir sans teint qui ne réfléchit pas les formes et les sons, mais les absorbe. L’instant est nu. Ce sont les pieds, plus que les corps, que nous remarquons au moment où les danseuses apparaissent. Non pas les pieds tels qu’ils sont, mais leur glissement. Lorsque une musique de fond ne vient pas s’interposer entre nous et le mystère, il n’y a dans cet univers si immense, que le frottement des pas, ou leur tapement si le talon heurte le bois. Dans la présence sonore des pieds, on peut entendre toute la solitude des êtres , et c’est le cas ici, chaque danseur, tendu dans sa quête éperdue, porte comme un halo de solitude. On construit un tout, certes, ensemble, mais pour qui sait voir le fond de l’oeil, chacun habite une tour, là-bas, logée dans l’ombre des murs, l’ombre si profonde.
Les filles, il ne s’agit que de danseuses ce soir, sont belles de leur justesse. Ni emphase ni lyrisme : juste de la présence au bon endroit. Une lumière. Ce qui se danse, se danse en nous, nous sur les gradins. C’est une eau qui nous nettoie, faisant une mare au fond de nous, et de là une douche remontante des pieds à la tête jusqu’à ce que nous soyons immergés dans la mer de danser. »